Écrits Saint-Martinistes

 

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« Ma tâche dans ce monde a été de conduire l’esprit de l’homme par une voie naturelle aux choses surnaturelles qui lui appartiennent de droit,  mais dont il a perdu totalement l’idée, soit par sa dégradation, soit par l’instruction fausse de ses instituteurs. Cette tâche est neuve, mais elle est remplie de nombreux obstacles ; et elle est si lente que ce ne sera qu’après ma mort qu’elle produira les plus beaux fruits. »

(L.-C. de Saint-Martin, Portrait, § 1135).

I – Nécessaire retour à la pensée authentique du Philosophe Inconnu

Portrait de Saint-MartinL’entreprise de remise en lumière et la redécouverte des thèses théosophiques et positions spécifiques du Philosophe Inconnu – thèses et positions entourées, hélas depuis de nombreuses décennies, d’un voile opaque dans la plupart des courants se réclamant, bien à tort le plus souvent, du « martinisme » (sic), voile constitué d’un hétéroclite mélange fait d’occultisme, d’art divinatoire, d’hermétisme, d’astrologie, de kabbale, voire de « théurgie », ce qui évidemment ne manque pas d’être pour le moins paradoxal lorsqu’on connaît les positions critiques et la vive hostilité de Louis-Claude de Saint-Martin vis-à-vis des procédés utilisés lors des « opérations » enseignées et proposées à ses émules par Martinès de Pasqually pour obtenir la « réconciliation » des âmes [1]-, fut et demeure une œuvre nécessaire afin d’écarter le voile empêchant un accès direct à la pensée authentique de l’auteur du « Ministère de l’homme-esprit ».

Les éléments touchant à la « vie intérieure » de prière et d’oraison, selon ce que Saint-Martin préconisa comme seule et unique méthode véritable pour atteindre les régions célestes et entrer en communion avec la « Cause active et intelligente », en s’éloignant des procédés qu’il qualifia, à juste raison, « d’externes », incapables par leur industrie pesante et leur dépendance à l’égard de la matière et de ses manifestations illusoires, de réaliser la « grande affaire » selon l’expression qu’il employa à de nombreuses occasions pour signifier ce dont il est question de façon ultime pour l’âme de désir en quête de sa rencontre intime et secrète avec l’essentiel transcendant, est donc bien un travail de purification indispensable si l’on souhaite avancer sur le chemin de la « Vérité ».

II – La « Grande affaire » selon Saint-Martin

Ce « chemin » conduisant à la « Vérité », Saint-Martin le qualifia du nom de sa « grande affaire », ainsi qu’il le signale à plusieurs endroits de son « Portrait historique et philosophique » :

 « Il y a des êtres qui ont dédaigné mon affaire à cause de ma personne; s’ils ne s’étaient pas pressés ils auraient fait grâce à ma personne en faveur de mon affaire » (Portrait, § 301) ;

« De ce que hors de ma grande affaire, je n’étais rien ni dans les sciences, ni dans les talents, ni dans les occupations de ce monde, j’ai conclu qu’en effet j’étais appelé à cette grande affaire, en raison de la grande loi des compensations; car j’ai vu quantité de gens qui hors de cette grande affaire étaient encore quelque chose, et qui par conséquent n’avoient pas besoin d’elle pour avoir un poste; aussi ne savaient-ils pas seulement qu’elle fût au monde » (Ibid., § 899) ;

« Comme mon affaire est et doit être toute divine, et que Dieu est un Dieu jaloux, tout la gêne de ce qui n’est pas lui, elle s’ombrage de la moindre chose, et alors elle ne se montre plus qu’à demi, ou point du tout. Voilà pourquoi j’ai tant de désavantage avec le monde qui est toujours en exercice et en jouissance complète de sa fausse domination, et de son empire de mensonge. Je peux bien attribuer à ma faiblesse une grande partie de cet effet répressif ; mais certes je n’en dois pas attribuer une moindre partie à ma destinée divine qui veille à la conservation de sa propre base, et qui ne veut pas la laisser frayer et se confondre avec l’esprit des nations. » (Ibid., § 995).

III – Saint-Matin et le mysticisme théosophique

Wierix-e1366330059572Saint-Martin aspire, comme on le voit, à une union intérieure avec le surnaturel que l’on peut, à bon droit, qualifier de « mystique », sachant que cette union, mystique s’il en est, est toutefois une « mystique théosophique » car participant d’une approche nettement distante de la dogmatique ecclésiale et de la doxa conciliaire, puisque relevant, en ses fondements premiers, des principes doctrinaux de l’illuminisme chrétien, et en particulier de l’illuminisme saint-martiniste qui professe sur de nombreux points – dont ceux ayant trait à l’émanation des esprits, la création du monde par l’effet d’une contrainte « nécessaire », la constitution de l’univers visible non par Dieu mais par des esprits intermédiaires, l’incorporisation d’Adam en punition de sa désobéissance dans une forme charnelle, sa destination post mortem incorporelle et la vocation à l’anéantissement de la totalité du composé matériel à la fin des temps -, des positions absolument inconciliables avec celles des autorités religieuses présidant aux différentes branches, occidentales ou orientales, du christianisme institutionnel.

Il s’agit donc bien d’un « mysticisme » certes, d’un mysticisme réel concernant Saint-Martin, mais, comme le souligna Elme Marie Caro (1826-1887), l’un des premiers biographes du Philosophe Inconnu au XIXe siècle, d’un mysticisme original en plusieurs de ses aspects, plus difficile à analyser et pour cause que le mysticisme cultivé au sein de l’Église : 

« Il y a un autre mysticisme d’un caractère plus complexe, plus difficile à analyser, à coup sûr très différent : c’est le mysticisme théosophique, qui ne contemple plus seulement, mais qui dogmatise sur les objets de la plus haute spéculation. Ses prétentions ne vont à rien moins qu’à la science absolue, totale, définitive. Il ne trouve pas seulement en Dieu le terme et l’objet de son ardent amour ; il trouve aussi en lui la source de toute science, l’inspiration, la connaissance suprême, l’explication de tous les mystères de la foi ou de la nature, la pleine lumière de la vérité, puis après avoir cité Boehme, Swedenborg, Martinès de Pasqually et Saint-Martin, Caro rajoute : « Tous ont l’ambition avouée de pénétrer les dernières profondeurs de la science divine, tous aussi affectent de rattacher leur doctrine par un lien secret à la tradition chrétienne, ou tout au moins aux origines mosaïques [2]. »

 

De ce fait, le mysticisme spéculatif, ou « théosophique », possède un but qui va bien au-delà de la simple mystique contemplative, aspirant à pénétrer à l’intérieur du mystère divin pour en découvrir l’essence cachée  :

« Nous voudrions marquer au juste le caractère propre de ce mysticisme spéculatif ou théosophique, qui est précisément celui de Saint-Martin. Le mot théosophie, comme nous l’apprend M. Cousin, a été pour la première fois employé par Gerson, mais dans un sens très-large et peu défini. Il n’a pris sa signification moderne qu’avec Boehme, qui s’en est servi souvent pour exprimer la science puisée au sein de Dieu. C’est une théologie, une métaphysique, une cosmologie, la science des sciences, révélée à l’illuminé. Théosophe, c’est-à-dire plus que philosophe et plus que théologien ; c’est-à-dire encore savant de la science même de Dieu. Au théosophe, les Écritures révèlent d’elles-mêmes leurs sens mystérieux ; la nature, ses plus secrets symboles ; l’âme, ses mystères ; tous les voiles tombent devant ses yeux. Il saura tout, sans avoir rien appris ; il raillera la science humaine, si défectueuse et si lente. Boehme n’a pas assez de sarcasmes pour le bonnet carré ; Saint-Martin, de mépris pour les observateurs. On voit par où le théosophe diffère du mystique. Le contemplatif n’a qu’un but, s’abîmer en Dieu dans un acte d’amour ; le spéculatif veut plus, il aspire à ravir le dernier mot de la science. L’un se repose ; l’autre, après s’être reposé dans l’extase, agit, travaille, compose, enseigne[3]»

IV – Lumières mystiques de Madame Guyon

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Jeanne-Marie Bouvier de La Motte, appelée couramment madame Guyon,

née le 13 avril 1648 à Montargis, morte le 9 juin 1717 à Blois.

 

Cependant, comme le rappelle Jacques Matter (1791-1864), qui fut professeur d’histoire ecclésiastique à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, et écrivit une biographie de Saint-Martin richement documentée, se mariant en 1819 avec Marie Sophie Pauline Goguel, petite-fille de Frédéric-Rodolphe Saltzmann (1749-1821), on trouve des lumières exceptionnelles chez Madame Guyon (1648-1717), comparables, et à certains égards supérieures, à celles délivrées par les théosophes :

 « Madame Guyon, si peu libre, donne sa théorie et une théorie assez compliquée sur les divers états de la haute mysticité. Elle s’explique très amplement sur l’état apostolique on elle se trouvait, quand elle fit la connaissance de Fénelon. Elle disserte fort largement sur l’état de vision et les visions, sur l’extase, sur le ravissement, sur le vol d’esprit, sur les dons et les grâces extraordinaires, sur la prophétie, sur l’inspiration. Elle donne sur la dictée divine des indications qu’on chercherait en vain dans Swedenborg qui se glorifiait d’en jouir, dans Saint-Martin et même dans Jacob Boehme qui n’ignoraient pas la matière. Quant aux rapports entre les âmes mystiques, elle en parle en plusieurs endroits. Elle traite de la maternité et de la filialité d’une manière très-précise. Elle cite des faits et expose une théorie de communication des grâces qu’établissent ces rapports. Elle ne se borne pas de très-spéciales, très-individuelles. Et de toutes ces choses rien n’est jeté dans ces pages au hasard; au contraire elle les invoque à l’appui de sa doctrine et en appelle, pour les faits qui sont de nature à les confirmer, au témoignage des hommes les plus honorables. Si elle se plaît, dans l’occasion et pour le besoin de sa cause, à se qualifier de femme ignorante, elle est bien loin d’écrire sans plan ni méthode, sans aucune vue d’ensemble. Elle a évidemment des prétentions contraires, et si l’on avait bien voulu la laisser s’expliquer, elle nous aurait appris bien des choses que nous ignorerons toujours. Mais loin de lui en donner la faculté, on la réduisit à un état de crainte tel, que bientôt elle cessa toute espèce d’indication sur ses études [4]. »

V – Admiration de Saint-Martin pour la « prophétesse et visionnaire du Nord », Antoinette Bourignon

Antoinette Bourignon

Antoinette Bourignon, née à Lille en 1616 et morte en 1680 à Franeker (Frise).

Néanmoins, malgré les immenses qualités soulignées par Jacques Matter, on comprend beaucoup mieux en quoi, et surtout pourquoi, Saint-Martin se sentit bien plus proche de l’attitude radicale d’Antoinette Bourignon (1616-1680), que de celle de Madame Guyon, se mettant en quête des ouvrages difficilement accessibles de la prophétesse du Nord, car il dut certainement trouver chez elle un style et surtout des aspirations qui ne pouvaient que convenir avec ses propres visions et convictions, comportant une tonalité relativement sombre extrêmement sévère à l’égard de la réalité matérielle, fort éloignée, pour le moins, des émerveillements ébahis sur les beautés de la nature et les charmes de la création que l’on trouve généralement sous la plume de nombreux auteurs spirituels, et que ne pouvait que partager, évidemment, le disciple de Martinès de Pasqually († 1774), n’ignorant pas que le monde terrestre était une borne en forme de prison, dont la réalisation fut décidée par l’Éternel par contrainte nécessaire, en réponse à la prévarication des esprits rebelles dans l’immensité divine.

Le  style d’Antoinette Bourignon, possédant une rigueur intransigeante et des tonalités apocalyptiques, est d’une sévérité rare, il faut le reconnaître, n’accordant aucune concession consolante aux âmes durement désignées comme étant « enténébrées » ; on est à grande distance, dans cet ouvrage, « La Lumière née en ténèbres », dont Saint-Martin fit l’acquisition providentielle en septembre 1796 lors d’une de ses promenades sur les quais de Seine, comme il le raconte dans son Portrait historique et philosophique, des douceâtres élégies bucoliques d’une certaine littérature dévotionnelle :

« Si Jésus Christ a parlé dans les Écritures des Astres matériels, ce n’est que pour figurer les signes intérieurs où les hommes se trouveront vers la fin du Monde, que le Soleil de Justice et Vérité s’obscurcira dans leurs âmes, que la Lune même au milieu de leurs ténèbres ne donnera plus sa lumière par laquelle les hommes puissent voir où ils doivent marcher pour trouver le chemin de salut, tant obscurs seront leurs entendements en ce fait ; que les Étoiles, qui sont les Esprits lumineux, tomberont du Ciel, c’est à dire de la justice et vérité de Dieu ; quoiqu’ils soient remplis de belles spéculations et lumières divines, ils tomberont de l’essence de la véritable vertu, pour adhérer aux sentiments des hommes, sans pratiquer ce qu’ils connaissent être agréable à Dieu.

Ne vous semble-t-il pas que ces fléaux intérieurs sont beaucoup plus redoutables que ne sont ceux qui paraîtront ès Astres naturels ; puisque ces punitions matérielles ne peuvent qu’affliger nos sens et notre corps, et que ces fléaux spirituels ont déjà tué et perdu tant d’âmes. C’est bien peu de chose que ces signes effroyables paraissent à notre vue ; mais c’est beaucoup de sentir dans nos âmes les effets de ces chûtes et ces horribles ténèbres dans lesquels les hommes vivent à présent, et cela universellement par tout le Monde où la justice n’a plus de domaine, la vérité plus de crédit, et la vraie vertu plus de lustre […]

Nous vivons maintenant dans le Temps dangereux prédit par Jésus Christ ; et il ne faut pas attendre à voir le Soleil et la Lune obscurcis, ni que les Étoiles tombent du ciel matériellement pour appréhender les jugements de Dieu ; vu que ces signes extérieurs sont les moindres fléaux qui doivent arriver aux hommes pour servir seulement de figure et faire voir extérieurement en quel état désastreux ils ont abandonné leurs âmes, lesquelles pourraient bien être sauvées, quoique le Soleil, la Lune et les Étoiles n’apparaîtraient plus dans le Ciel, mais jamais n’arriveront à salut sans avoir en elles la Justice, Bonté et Vérité de Dieu, de quoi un chacun est maintenant si fort éloigné […]

S’il n’y avait pas un ensorcellement d’esprit dans l’entendement des hommes, il serait impossible qu’ils ne vissent clairement que le jugement est proche ; parce que tous les signes ont déjà paru en sens parfait […]

Pour moi, je vois que tous les signes des choses prédites comme devant arriver dans les derniers temps sont maintenant arrivés en sens parfait, intérieurement dans les âmes des hommes, et qu’il n’y a plus rien à attendre, sinon les figures extérieures de guerres, pestes, famines, feux et ténèbres ; parce que toutes ces choses sont en abondance dans les âmes des hommes qui vivent en guerres domestiques et intérieures, en la peste du péché, en la famine de la vérité, au feu de colère et de vengeance, en ténèbres de la mort spirituelle…[5] »

VI – La « révélation » de Dieu dans l’homme

Jacob-Boehme

Jakob Böhme, ou Jacob Boehme, surnommé le Philosophus Teutonicus,

né à Alt-Seidenberg (Görlitz) le 8 mars 1575 , et mort le 17 novembre 1624 à Görlitz. 

Mais ce qui frappa considérablement Saint-Martin, par delà son enthousiasme pour les « révélations » apocalyptiques d’Antoinette Bourignon qui participaient chez lui d’une identique vision et perception des choses, attendant avec espérance l’évènement de la « fin des temps », lors de sa découverte de l’œuvre de Jacob Boehme (1575-1624), c’est cet éclairage extraordinaire effectué par le génial penseur de Görlitz, sur le fait que Dieu eut, avant même de créer l’univers, avant même d’agir en créant le monde matériel, le désir secret d’être connu, le souhait d’être perçu en sa vérité par « l’œil de la conscience », une conscience qui soit en quelque sorte « autre que Lui-même », l’obligeant pour cela, puisque Dieu, nécessairement, ne peut créer du « différent » – sa substance étant infinie cette infinité englobe nécessairement tout aboutissant à une impossibilité d’extériorité ontologique -, à s’oublier un temps, à se perdre, si l’on peut dire, pour mieux se retrouver dans la vive illumination de l’aurore matinale de la redécouverte de ce qui était oublié. Pour que cela se réalise, il dut donc procéder, par l’intermédiaire de la Sophia qui est en Dieu la « puissance désirante », l’énergie dialectique de manifestation, à sa propre « révélation » par l’intermédiaire de l’aspect le plus surprenant et inattendu du plan divin, à savoir que par l’homme, et en l’homme, la Divinité parvienne à la « lumière ».

Dieu cherchant à se connaître, la Déité en quête d’elle-même dans son chemin de perte volontaire et d’éloignement nécessaire, par l’effet de la Sophia, travailla à l’émanation de son Verbe, en rendant possible son engendrement dans le cœur de l’homme, ce qui est l’un des plus hauts mystères de la vie divine, expliquant pourquoi Boehme affirme : « De toute éternité, le Nom de Jésus reposait en un Amour immobile dans l’homme ou dans la similitude de Dieu [6]. »

Ce mystère, absolument incomparable et extraordinaire qui dépasse toute tentative d’explication rationnelle, nous donnant de contempler, dans le silence d’une contemplation humble et solitaire, la naissance surnaturelle de Dieu en nous, n’est en aucun cas permise pour « l’homme du torrent » selon l’expression de Louis-Claude de Saint-Martin, car elle ne concerne que « l’homme céleste », la génération du Verbe de Dieu dans l’âme relevant des secrets les plus subtils de la Divinité.

VII –  « Le vrai ciel est lorsque votre esprit atteint la génération la plus intérieure de Dieu »

Sophia 1

« Lorsque votre esprit atteint la génération la plus intérieure de Dieu, et qu’il y pénètre au travers de la génération sidérique et charnelle, dès lors il est dans le ciel…»

L’étude sur la « Sophia », nous donne donc d’entrer dans le secret du « commencement des temps », au moment où la « Vierge Sophia » se révéla dans l’Adam primitif alors en communion avec l’Éternel, ce qui eut pour effet de conduire à l’irradiation de la « Parole », une irradiation première, native et fondatrice, qui est à renouveler, instant après instant, moment après moment, de sorte de conférer, par la prière intérieure et l’œuvre d’oraison, « l’être » et la  « vie » concrète au Verbe en nous, en notre âme, faisant de celle-ci le « vrai Ciel », le seul qui soit effectivement sur la terre : « Le vrai ciel est partout, même dans le lieu où vous êtes et où vous marchez. Lorsque votre esprit atteint la génération la plus intérieure de Dieu, et qu’il y pénètre au travers de la génération sidérique et charnelle, dès lors il est dans le ciel [7]. »

On perçoit ainsi que si Dieu apparaît voilé, profondément dissimulé derrière les ténèbres de la réalité apparente – dans une cécité générale qui s’applique à chaque homme, à chaque fragment d’existence séjournant en ce monde au point que l’on puisse se demander, objectivement, si l’absence de foi n’est finalement pas la seule attitude possible pour des esprits à ce point aveuglés et obscurcis par les brouillards de la visibilité phénoménale empirique -, si Dieu est caché dans l’expression immédiate des êtres et des choses, c’est qu’en ultime réflexion, non exprimée évidemment en mode conceptuel et selon une méthode déductive appesantie par une suite de raisonnements obéissant à une prétendue logique analytique, mais intuitivement éveillée dans et par l’étincelle jaillissante de la lumière lors de la contemplation unitive (et en ceci réside le « Mysterium Magnum », un « mystère » inconcevable et impensable), Dieu est, contre toute attente et à l’encontre de ce qu’une fausse perception nous donne de voir à la surface des horizons bornés de la conscience, depuis toujours dissimulé dans sa génération : « Dieu est caché dans le centre, dans la génération la plus intérieure » [8].

Conclusion

Après ce qui vient d’être rappelé, on mesure combien Saint-Martin – dont les études, réunies sous le titre générique « d’Écrits saint-martinistes », n’ont pas d’autre but que de nous donner accès aux domaines les plus profonds de sa pensée -, a raison de nous inviter expressément à entrer dans la « vie intérieure », tant cette dernière est le seul et unique lieu d’éclosion de la vie divine :

« L’intelligence humaine, à force de ne se fixer que sur les choses de l’ordre externe, dont elle ne parvient pas même à se rendre un compte qui la satisfasse, se ferme bien plus encore sur la nature de son être, que sur celle des objets visibles qui l’environnent ; et cependant, dès que l’homme cesse un instant de porter ses regards sur le vrai caractère de son essence intime, il devient bientôt entièrement aveugle sur l’éternelle source divine dont il descend, puisque si cet homme, ramené à ses éléments primitifs, est le témoin par excellence et le signe positif par lequel cette source suprême et universelle puisse être connue, elle doit s’effacer de notre esprit, dès qu’on fait disparaître le véritable miroir qui ait la propriété de nous la réfléchir [9]. »

Vivenza - Ecrits Saint-Martinistes

Pour commander l’ouvrage : 

Écrits Saint-Martinistes, La Pierre Philosophale, 2021, 405 pages.

Notes.

[1] Robert Amadou (1924-2006), fin analyste dans ces domaines délicats – ce qui ne l’empêcha pas, par ailleurs, mais il n’était pas fait d’un seul bois en ces sujets n’hésitant pas à des contradictions surprenantes, d’appeler à la célébration des « opérations », bien qu’entourant cet appel de conditions drastiques auxquelles il eût été prudent d’être attentif -, explique en des termes forts pertinents la position de Saint-Martin : « Louis-Claude de Saint-Martin rejettera les rites théurgiques, et les rites maçonniques, comme inutiles et dangereux. Le Philosophe Inconnu croit, il sait que nous avons davantage que ne le déplorait Martines : nous avons l’interne qui enseigne tout et protège de tout, le cœur où tout se passe entre Dieu et l’homme, par la médiation unique du Christ et les épousailles de la Sagesse. La rencontre avec la chose devient mystique. Tenons, exhorte Saint-Martin, plus à la marche des principes et des agents supérieurs qu’à celle des principes inférieurs et élémentaires. Défions-nous donc du sidérique, encore appelé astral, ou céleste, et surtout de sa branche active. Quand on ouvre toutes grandes les portes, on ne sait qui va entrer et, même si, contre la vraisemblance, toutes précautions étaient prises, les formes théurgiques, comme toutes formes, risqueraient de détourner plus que de soutenir l’homme de désir qui possède tout en lui, pourvu que Dieu y vienne et, par conséquent, qu’il ait nettoyé et orné la salle du festin, poli le miroir dont la pureté permet l’assimilation du reflet au reflété. » (R. Amadou, Introduction, in Traité sur la réintégration, Collection martiniste, 1995, pp. 36-37).

[2] E. Caro, Du Mysticisme au XVIIIe siècle,  Essai sur la vie et la doctrine de Saint-Martin le Philosophe Inconnu, Paris, Hachette, 1852, pp. 97 ; 100-101.

[3] Ibid., pp. 101-102.

[4] J. Matter, Le Mysticisme en France du temps de Fénelon, Paris, Didier et Cie, 1865, pp. 280-281.

[5] A. Bourignon, La Lumière née en ténèbres, « Quinzième Lettre à un Supérieur d’une Église », in Œuvres de Mlle Antoinette Bourignon, Amsterdam, chez Jean Riewerts et Pierre Arrents (1679-1686), volume IV.

[6] J. Boehme, De l’Election de la grâce, VII, 31.

[7] J. Boehme, L’Aurore Naissante, XIX, 24.

[8] Ibid., XIX, 65.

[9] Le ministère de l’homme-esprit, 1ère Part., « De la nature ».

 

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