La doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié en « dix leçons essentielles »

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« [La doctrine] est l’unicum necessarium […] C’est sur ce fondement, sur cette pierre angulaire que [l’Ordre] est bâti, et qui le préservera de sa ruine aussi longtemps qu’on lui restera fidèle. »

(Cf. Frédéric-Rodolphe Saltzmann à Jean-Baptiste Willermoz, 4 septembre 1818).

 

I – Caractère fondamental de la doctrine du Régime Écossais Rectifié

Le Régime Écossais Rectifié possède cette originalité – spécificité assurément unique à l’intérieuradhuc-stat-RER du monde maçonnique qui confère au système constitué lors du Convent des Gaules, réuni à Lyon en 1778 à l’initiative de Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), un caractère tout-à-fait singulier -, de conserver un corpus doctrinal d’une nature peu commune détenteur d’un enseignement qui se laisse peu à peu découvrir dans les instructions propres à chacun des grades du Régime rectifié, depuis celui d’Apprenti, jusqu’au sixième et dernier « ostensible », soit celui de Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte (C.B.C.S.).

On pourrait penser, bien à tort, que la question de la doctrine n’intéresse donc, finalement, que les frères étant déjà parvenus, par l’effet de leur cheminement et de leur avancée en « âge » initiatique, aux grades les plus élevés de la classe chevaleresque constituant ce que l’on appelle « l’Ordre Intérieur » du Régime rectifié, et que pour les autres, c’est-à-dire ceux se trouvant encore dans les grades symboliques (Apprenti, Compagnon, Maître, Maître Écossais de Saint-André), il n’y aurait pas lieu de s’en préoccuper, renvoyant à plus tard le regard attentif qu’ils se décideront de diriger, si tant est que cette décision intervienne un jour, en direction des éléments théoriques, apparemment cachés et voilés à l’immédiate visibilité lors des travaux.

Cette vision, assez généralement partagée, explique l’incompréhension que beaucoup éprouvent lorsqu’ils découvrent, souvent tardivement, les fondements de l’enseignement ésotérique du Régime rectifié, se demandant alors comment ils purent passer à côté de points doctrinaux importants, et surtout si essentiels à l’explication des rituels et symboles pratiqués dans les loges et chapitres participant des structures willermoziennes, points sans lesquels rien de ce qui se déroule dans les circonférences rectifiées n’a réellement de sens, alors qu’en revanche, lorsque ces points sont éclairés, tout ce qui s’effectue, tout ce qui est mis en œuvre, même les gestes en apparence les plus anodins, reçoit une explication que l’on peut désigner comme étant « évidente ».

C’est pourquoi, en « dix leçons essentielles », l’ensemble du corpus doctrinal du Régime fait l’objet d’une étude approfondie et attentivement détaillée dans le livre où est exposée avec précision la « Doctrine initiatique » de l’Ordre, livre dont voici le sommaire brièvement résumé :

PREMIÈRE LEÇON

Origine et source de la doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié

DEUXIÈME LEÇON

L’émanation des âmes spirituelles avant le commencement des temps

TROISIÈME LEÇON

Émancipation et prévarication des esprits émanés

QUATRIÈME LEÇON

La création du monde matériel imposée au Créateur par « nécessité »

CINQUIÈME LEÇON

Dieu ordonna aux esprits fidèles de créer le monde matériel afin qu’il soit un lieu d’exil, de séparation et de punition pour les êtres coupables

SIXIÈME LEÇON

Émanation et émancipation d’Adam après la prévarication des esprits pervers

SEPTIÈME LEÇON

Prévarication et transmutation d’Adam en une forme de matière impure et passive qui devint sa prison

HUITIÈME LEÇON

Réconciliation d’Adam après sa prévarication, institution de la religion primitive et constitution de la lignée sacerdotale des « élus de l’Éternel »

NEUVIÈME LEÇON

Caïn et Abel et la division de la tradition en deux branches opposées, rejet par Willermoz de l’évocation rituelle à « Tubalcaïn » remplacé par « Phaleg », le conservateur du  culte divin

DIXIÈME LEÇON

Noé fixe de nouvelles règles au culte divin, venue attendue en ce monde de matière ténébreuse du « Second Adam », le Divin Réparateur, « vrai-Homme » et « vrai-Dieu », réintégration finale qui verra l’anéantissement du composé matériel et le retour des êtres dans leurs premières propriété, vertu et puissance spirituelle

II- Une connaissance absolument « essentielle » sur la source, les origines et la nature « non-substantielle » du « mal »

Le regard approfondi porté sur la doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié permet donc – pour tous ceux qui souhaitent les étudier et s’en imprégner sérieusement -, une connaissance précise des « bases théoriques » ainsi que de « l’enseignement » qui spécifient, par leur originalité remarquable, le système maçonnique et chevaleresque élaboré au XVIIIe siècle par Jean-Baptiste Willermoz.

Et, à cet égard, le livre : La doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié en « dix leçonsSans titre 7 essentielles », est tout à la fois un outil de travail, un manuel pratique et un guide pour l’étude, une étude qui n’est ni superfétatoire ni optionnelle pour les frères du Régime Rectifié, mais relève du devoir premier de chaque membre de l’Ordre désireux de comprendre véritablement la nature du cheminement initiatique dans lequel il est engagé, offrant des lumières fondamentales sur des questions qui ne cessent de revenir de façon permanente, et en particulier évidemment celle portant sur les raisons justifiant l’existence prégnante et générale du mal en ce monde face à un Dieu considéré comme bon et désigné comme étant « Tout-puissant », ce qui participe d’une énigme difficilement compréhensible, voire pour beaucoup d’âmes d’un insupportable « scandale ».

Est ainsi abordée, ceci sans doute pour la première fois dans le cadre des études portant sur la doctrine, une explication approfondie de l’origine de l’apparition du mal, permettant à chacun de comprendre ce qu’il en est de ce mystère qui provient de l’entière altérité du « non-être » face à Dieu qui est « l’Être ».

Dans un exposé développant longuement les raisons du caractère d’inconcevabilité de la prévarication, notamment sur le plan métaphysique, on y dévoile pourquoi il y a l’impossibilité d’un « lien » entre Dieu et le mal, ceci relevant d’une impossibilité de nature ontologique dont le déroulement de la tragique révolte angélique est à cet égard déterminant, consistant dans l’absence radicale et effective d’une relation entre « l’Être » de Dieu et le « néant » de pensée, ou le « rien de concevable », c’est-à-dire de ce qui n’était pas prévu et ne pouvait l’être en fonction des conditions de perfection harmonieuse de l’immensité divine, ce que Martinès traduit de cette façon :

« Dieu ne pouvait prévenir ce qu’il n’avait pas prévu, ne pouvant lire dans la pensée, ainsi que je l’ai déjà dit, que lorsqu’elle est conçue […] » (Traité, §  42).

S. Augustin

Ainsi, le caractère inconcevable du « mal » en Dieu et les limites de la « prescience » divine selon la doctrine martinésienne, reposent sur l’absence de connaissance, chez le Créateur, des intentions mauvaises que les esprits émanés ont générées lors de leur révolte, ce qui ne put permettre une action préventive de la part de Dieu, incapable d’empêcher la réalisation du projet criminel des démons, car le mal n’est pas un « être réel », il est « sans substance » n’ayant aucune place dans la pensée divine. Et de ce point de vue, la « non-substantialité » du mal selon la définition employée par saint Augustin († 430), le rend en conséquence inconnaissable à Dieu avant qu’il ne se manifeste.

C’est pourquoi, ce caractère de non-substantialité, ou « in-substantialité » du mal, signifie qu’il n’y a en lui aucune réalité ontologique, aucune réalité propre ; sa force n’étant pas une substance réelle, elle ne réside que dans sa dimension purement apparente, soit une puissance négative. De ce fait, le mal qui n’est pas un être réel, qui ne possède pas de substance, est dénué de caractère principiel, pur néant d’être sans aucun lien et sans aucune place dans la pensée divine ; ne possédant pas d’être réel, et ne provenant que de l’esprit mauvais il est destiné à l’annihilation et anéantissement définitive avec toutes ses œuvres apparentes, position caractéristique des courants néoplatoniciens, qui fut d’ailleurs partagée par Origène († v. 253) et saint Augustin.

III – Les thèses de l’Ordre se rattachent au corpus théorique des conceptions métaphysiques néoplatoniciennes et origéniennes

À ce sujet, comme il est aisé de le constater lorsqu’on examine avec attention leurs déclarations, les thèses de l’Ordre, pour le moins originales au niveau de leurs positions principales, se rattachent au corpus des thèses métaphysiques des écoles néoplatoniciennes et des courants augustiniens et origéniens, ce qui suscite très souvent des incompréhensions, voire des réserves en raison du caractère pour le moins surprenant des affirmations qu’elles soutiennent.

OrigèneCeci n’est pas nouveau, puisque dès la fondation de l’Ordre au XVIIIe siècle, des critiques apparurent auxquelles fut confronté Jean-Baptiste Willermoz. Sa réponse, absolument remarquable, réitérée en plusieurs occasions et figurant expressis verbis dans l’instruction du 5e Grade d’Écuyer Novice – confirmant bien la similarité de la doctrine de l’Ordre avec la pensée d’Origène -, fut de rappeler que ses connaissances, portant sur  « la cause occasionnelle de la création de l’univers, sur les desseins de Dieu dans l’émanation et l’émancipation de l’homme, sur sa haute destination au centre de l’espace créé », avaient été conservées par l’Église jusqu’au VIe siècle, époque où elles furent rejetées et condamnées, puis tombèrent dans l’oubli [1], au point qu’aujourd’hui elles sont regardées comme des erreurs.

C’est également ce qu’expose clairement ce passage important du Traité des deux natures :

« Le doute et l’erreur de ceux-là ne proviennent que de l’ignorance dans laquelle sont tombés généralement les hommes depuis longtemps sur la cause occasionnelle de la création de l’univers, sur les desseins de Dieu dans l’émanation et l’émancipation de l’homme, sur sa haute destination au centre de l’espace créé, et enfin sur les grands privilèges, la grande puissance et la grande supériorité qui lui furent donnés sur tous les êtres bons et mauvais qui s’y trouvèrent placés avec lui. Toutes choses que les chefs de l’Église chrétienne, auxquels la connaissance en était presque exclusivement réservée pendant les cinq à six premiers siècles du christianisme, ont parfaitement connues [2]

IV – Le but de Willermoz fut de préserver la doctrine de Martines de Pasqually, et maintenir, quand sombrait l’ordre des Élus Cohen, la « vraie Maçonnerie »

sceau-elus-coen-sur-papierComme nous le savons, lors du Convent des Gaules (1778), Jean-Baptiste Willermoz par des décisions qui représentaient en fait une authentique rupture d’avec la Stricte Observance, et la franc-maçonnerie dans son ensemble – cette dernière étant déclarée à cette occasion composée de « systèmes arbitraires » ainsi que le souligne l’Introduction du Code Maçonnique : « À défaut d’en connaître le vrai point central et le dépôt des lois primitives, elles suppléèrent au régime fondamental par des régimes arbitraires particuliers [3] […] ne tenant point à la chaîne générale, elles en ont rompu l’unité en variant les systèmes [4]» -, établissait et constituait une maçonnerie symbolique fondée non plus, comme auparavant, sur trois grades, mais sur quatre, conduisant à un « Ordre Intérieur », système pénétré de l’enseignement doctrinal de Martinès de Pasqually († 1774) :  « Le but de Willermoz était donc de préserver la doctrine dont Martines de Pasqually avait été, selon que ce dernier lui avait enseigné, l’un des relais seulement ; maintenir, quand sombrait l’ordre des Élus Cohen, la vraie Maçonnerie selon le modèle que Martinès de Pasqually lui avait révélé comme l’archétype et que garantit une conformité doctrinale avec la doctrine de la réintégration [5]

Conclusion : La doctrine de l’Ordre, « n’est que la science de l’homme par excellence, c’est-à-dire la connaissance de son origine et de sa destination »

La doctrine de l’Ordre, effectivement comme le rappela à juste titre Joseph de Maistre (1753-1821) : « n’est que la science de l’homme par excellence, c’est-à-dire la connaissance de son origine et de sa destinée [6]», cette science relève d’un type de christianisme original répondant à de nombreuses interrogations irrésolues, en particulier sur la présence massive du mal en ce monde, « christianisme réel, désigné par le nom de  ‘‘christianisme transcendant’’,  [qui] est une véritable initiation, fut connu des chrétiens primitifs, et est accessible encore aux adeptes de bonne volonté [7]

cdojldmkfpanpiblL’Ordre, dont le devoir expressément fixé par Jean-Baptiste Willermoz, est de conserver en fidélité et avec constance, les thèses du christianisme primitif « transmises par l’initiation d’âge en âge jusqu’à nous »,  nous convie à nous remémorer constamment les paroles de la « Règle Maçonnique », entendues si souvent, lues et répétées de nombreuses fois lors des travaux, mais restant pourtant abstraites et étant regardées comme une sorte de littérature pieuse rédigée selon une formulation qui évoque les discours édifiants des anciens bréviaires que les fidèles utilisaient pour leur vie religieuse lors des siècles passés, et qui pourtant doivent prendre une résonnance singulièrement importante après la découverte des connaissances qui font l’objet de cette étude, nous permettant d’accéder, enfin, à la compréhension véritable de ce vers quoi nous portent, peu à peu, les pas effectués sur le chemin menant au « Sanctuaire », chemin nous dévoilant un des secrets les plus profonds de l’enseignement doctrinal de l’Ordre, à savoir « réunir notre âme » à la « source pure » dont elle fut émanée à son origine en nous dégageant des « vapeurs grossières de la matière » qui nous séparent du Principe éternel  :

« […] cultive ton âme immortelle et perfectible,

et rends-la susceptible d’être réunie à la source pure du bien,

lorsqu’elle sera dégagée des vapeurs grossières de la matière

Règle Maçonnique, op.cit., Art. II, § I, « Immortalité de l’âme ».

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Formulons le vœu que les « adeptes de bonne volonté » soient suffisamment animés d’un vrai désir, afin qu’ils bénéficient des lumières souveraines de l’enseignement doctrinal du Régime Rectifié, de sorte que ce dernier les conduise à la « Source de la Vérité ».

« Il existe pour l’Adam dégradé, deux vies très distinctes qu’on ne peut jamais confondre […] L’une est la vie spirituelle-active ou de l’esprit, l’autre est la vie universelle passive qui est celle de la matière. La vie de l’esprit n’est pas créée, mais elle est émanée avec l’être qui en jouit, du sein de Dieu où il l’a puisée. Elle est immortelle, indestructible, intelligente et active ; Elle pense, veut, agit et discerne, ce qui la constitue image et ressemblance de son Principe générateur […] La vie animale passive, nommée aussi âme universelle du Monde créé, n’est que passagère, n’étant émané que pour un temps par les êtres spirituels-inférieurs […] » (J-B Willermoz,  9ème Cahier, Explications préliminaires […] qui contiennent la description des faits spirituels concernant la création de l’Univers physique, temporel, et de ses parties principales).

Livre - La Doctrine du RER - 2022

La doctrine initiatique du Régime Écossais Rectifié

en « dix leçons essentielles »

Éditions Dervy, 2022, 296 pages, 24 €.

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TABLE DES MATIÈRES DÉTAILLÉE

ET PRÉSENTATION

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Notes.

[1] En plein milieu du VIe siècle, en 553 exactement, le cinquième Concile œcuménique, second de Constantinople, condamna dans ses anathèmes les positions d’Origène portant sur la préexistence des âmes, la création par « nécessité » du monde matériel, l’état angélique d’Adam avant la prévarication, l’incorporisation d’Adam et sa postérité dans une forme de matière dégradée et impure en conséquence du péché originel, et la dissolution finale des corps et du monde, l’empereur Justinien ayant élaboré préalablement à partir de l’ouvrage d’Origène, le De Principiis, neuf anathématismes concluant son « Adversus Origenem liber » ou « Edictum », rédigé entre la fin de 542 et le début de 543, par un appel à la condamnation, appel qui aboutira à la rédaction que quinze anathématismes fulminés eux officiellement en 553 lors du cinquième Concile de Constantinople. (Cf. H. Leclercq, Histoire des conciles, t. II, IIe partie, Paris, 1908, pp. 1191-1196. Traduction dans article [« Origénisme »], de G. Fritz, in Dictionnaire de Théologie catholique, t. XI, col. 1381-1383).

[2] J.-B. Willermoz, Traité des deux natures, Bibliothèque Municipale de Lyon, ms. 5940.

[3] Sous cette désignation de « régimes arbitraires », en réalité le Régime Rectifié adopte la distinction établie par Martinès entre systèmes possédant une connaissance de la doctrine initiatique, ou au contraire l’ignorant, ce qui au passage, une fois encore, montre bien la continuité entre l’Ordre des Élus Coëns et le système édifié par Jean-Baptiste Willermoz, es notions « d’apocryphe » et de « non-apocryphe », étant propres à l’Ordre fondé par Martinès de Pasqually, dont l’enseignement distinguait, sous ces deux dénominations, les initiations possédant la « vraie philosophie », c’est-à-dire la « doctrine  de la réintégration », de celles qui en étaient dépourvues tout en utilisant les instruments des ouvriers du Temple de Salomon, ainsi que l’expose le « Catéchisme des Philosophes Élus cohen de l’Univers », 1770.

[4] Code Maçonnique des Loges Réunies et Rectifiées de  France, 1778.

[5] R. Amadou, Martinisme, CIREM, 1997, p. 36.

[6] J. de Maistre, Mémoire au duc de Brunswick, 1782.

[7] J. de Maistre, Quatre chapitres inédits sur la Russie, publiés par le comte Rodolphe de Maistre (1789-1866), Paris, Librairie Auguste Vaton, 1859.

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