Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz

Vie, doctrine et pratiques théurgiques

de l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers

« Une relation initiatique à l’origine du Régime Écossais Rectifié »

« Le Régime Écossais Rectifié a un secret,

le secret de Jean-Baptiste Willermoz : son but est d’atteindre, à sa manière,

le but fixé à l’Ordre des Élus Coëns, à savoir, la réintégration de l’homme

dans sa première propriété vertu et puissance spirituelle divine ».

 

L’histoire de la relation qui s’est établie entre Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) et Martinès de Pasqually (+ 1774), débute en avril 1767, année où les deux hommes vont se rencontrer, lors de la réception dans l’Ordre des Élus Coëns du futur fondateur du « Régime Écossais Rectifié », époque où « l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers », dont Martinès était le Grand Souverain, venait d’installer à l’équinoxe de printemps à l’Orient de Versailles sa plus haute instance, c’est-à-dire son « Tribunal Souverain ».

I. Rôle éminent de Martinès de Pasqually sur l’évolution initiatique de Jean-Baptiste Willermoz

À compter de cette date, Jean Baptiste Willermoz va découvrir auprès de Martinès de Pasqually, jusqu’en septembre 1774 où ce dernier quitta ce monde à Port-au-Prince, un ambitieux programme visant à la « réintégration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissance spirituelles divines », de même qu’une doctrine spirituelle absolument originale, gravissant tous les degrés initiatiques jusqu’à celui, ultime, de Réaux-Croix, trouvant dans « l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers », ce qu’il avait toujours attendu en matière de connaissances, et de surcroît la confirmation de ses espérances à propos des « mystères » subsistant au sein de la franc-maçonnerie. Il apparaît donc à l’évidence que Willermoz rencontra dans cet Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers, ce qu’il attendait depuis toujours en matière d’initiation et, de surcroît, la confirmation de la justesse de ses espérances à propos des mystères subsistant au sein de la franc-maçonnerie.

Et, en effet, lorsqu’on se penche sur le contenu de l’Instruction destinée au nouveau reçu dans les trois grades d’Apprenti, Compagnon et Maître symboliques de l’Ordre des Élus Coëns, on y découvre des connaissances tout à fait exceptionnelles, dont Willermoz ne cachait pas qu’elles lui servirent pour la rédaction des Instructions de la classe de la Profession du Régime Rectifié, et il faut admettre que ce qu’entendait l’impétrant à cette occasion, était un discours d’une prodigieuse richesse, qui expliquait toute la doctrine cosmogonique propre aux Coëns.

a) Intérêt immédiat de Jean-Baptiste Willermoz pour la doctrine des Élus Coëns

L’étude des sources de Martinès, n’ont point permis pour l’instant d’arriver à une conclusion certaine, laissant cependant penser à une nette influence de thèses gnostiques et judéo-chrétiennes chez le thaumaturge bordelais, non exemptes de liens avec les enseignements de la kabbale, quoique sa catholicité soit néanmoins clairement établie et attestée, non seulement de par les actes officiels qui jalonnent son existence [1] – ayant été baptisé, se mariant, faisant baptiser son fils aîné, Jean-Anselme, en 1768 dans la paroisse de Sainte-Croix de Bordeaux, recevant une sépulture au sein de l’Église -, mais également, ce qui est loin d’être anodin, de par les règles strictes qu’il imposa à son Ordre, relativement draconiennes, puisque, pour être reçu chez les Élus Coëns, il fallait obligatoirement être de confession catholique [2].

D’ailleurs, son interprétation de la Sainte Écriture, participe autant de la kabbale chrétienne que d’une vision empruntant à la « théorie des types » propre au jansénisme – théorie développée notamment par l’abbé Jacques Joseph Duguet (1649- 1733) et Jacques-Vincent Bidal d’Asfeld (1664-1745) dit « l’abbé des Tuiles », se fondant sur une interprétation symbolique, allégorique, prophétique et non littérale de l’Ancien Testament -, voyant dans les différents événements de l’Histoire l’accomplissement des plans divins contenus dans l’Écriture Sainte, conférant une originalité propre à son enseignement : « La particularité magico-théurgique de Martines s’analyse par rapport à la kabbale. Sa théurgie comme sa théosophie ne sont pas spécifiquement kabbalistiques, de plus elles s’expriment dans un contexte chrétien inaliénable. Une influence par résonance de la kabbale n’est toutefois pas à exclure, voire l’influence directe de certains ouvrages. En kabbale comme chez Martines, priment les thèmes théosophiques de la descente et de la remontée ; de la chute, de la dispersion et de la restauration, de la réintégration [3]

b) Jean-Baptiste Willermoz, un émule fervent des Élus Coëns

Quoiqu’il en soit des sources de Martinès, l’attachement et l’intérêt pour la doctrine et les pratiques de Martinès de Pasqually se traduiront par cinq années d’une relation parfois délicate, une correspondance assidue et un souci permanent d’approfondir sans cesse les fondements théoriques et opératifs proposés par les Élus Coëns.

Willermoz, ouvrit un « Temple » à Lyon, c’est-à-dire une loge travaillant sur les rituels Coëns, recevant les frères les plus doués dans les grades supérieurs de l’Ordre, et jusqu’à sa sœur aînée en 1773, Claudine-Thérèse (1729-1810), connue sous le nom de Mme Povensal.

La théurgie cérémonielle transmise par Pasqually portant sur l’invocation des noms angéliques, devint ainsi, mais pour un temps seulement, l’activité secrète de La Bienfaisance, car l’influence de Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803) ne tarda pas, sans doute, à se faire sentir à terme sur l’évolution spirituelle de Jean-Baptiste Willermoz – ce qui ne serait pas étranger au fait que l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte n’ait pas jugé utile d’en conserver la pratique -, non à cause d’une faiblesse de sa voie initiatique par rapport aux Élus Coëns, mais bien plutôt en raison d’une vérité importante portant sur la manière, intérieure, de communiquer avec la « Cause active et intelligente »  [4].

II. La relation entre Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz à l’origine du Régime Écossais Rectifié

Certes, la disparition de Martinès en septembre 1774 à Port-au-Prince, laissa ses émules désemparés et son Ordre en une délicate situation, mais bien avant cette date, avaient déjà surgi les problèmes pratiques, théoriques et doctrinaux, qui portaient en germe les raisons de l’éloignement progressif d’avec l’Ordre des Élus Coëns de la part de Willermoz, jusqu’à ce que soit consommée une rupture, dont de nombreux signes laissaient pressentir qu’elle était quasi inévitable, voire même nécessaire, sans que pour cela soit oubliée, bien au contraire, sa pleine adhésion à l’enseignement reçu.

 

« Le but de Willermoz était donc de préserver la doctrine

dont Martines de Pasqually avait été l’un des relais seulement ;

maintenir, quand sombrait l’ordre des Élus Cohen, la vraie Maçonnerie

[…] que garantit une conformité doctrinale avec la doctrine de la réintégration. »

 

C’est sur ces raisons propres, qui conduisirent à la disparition des Élus Coëns, qu’il est en conséquence nécessaire de nous pencher si l’on souhaite comprendre pourquoi l’Ordre constitué par Martinès – qui n’était sans doute pas viable en sa forme et soulevait d’importantes questions s’agissant de ses méthodes -, fut effacé de l’Histoire, ainsi que la spécificité et la singularité qui présideront à la naissance, lors du Convent des Gaules en 1778, puis du Convent de Wilhelmsbad en 1782, du Régime Écossais Rectifié, qui devint dès lors, et pour la suite du temps, le conservateur de la « doctrine de la réintégration », dont Martinès de Pasqually avait été le surprenant et providentiel révélateur quelques années auparavant, comme le rappelait fort justement Robert Amadou (1924-2006) : « Le but de Willermoz était donc de préserver la doctrine dont Martines de Pasqually avait été, selon que ce dernier lui avait enseigné, l’un des relais seulement ; maintenir, quand sombrait l’ordre des Élus Cohen, la vraie Maçonnerie selon le modèle que Martinès de Pasqually lui avait révélé comme l’archétype et que garantit une conformité doctrinale avec la doctrine de la réintégration [5]

a) Conservation quasi intégrale de la doctrine de Martinès par Willermoz

Néanmoins, et insistons sur ce point, si la doctrine de Martinès a subi au Régime Rectifié une correction dans un sens foncièrement trinitaire, évacuant les traces de modalisme, et insistant, comme il semblait normal pour une initiation chrétienne, sur la double nature du Divin Réparateur, cet acte, ne changea pas la perspective léguée par l’Ordre Coën, mais au contraire, et même dans une certaine mesure, la « purifia », la perfectionna, démontrant, de façon absolument incontestable, que le Rectifié qui contribua à sauver et à préserver les éléments principaux de la doctrine de la réintégration, et cet aspect des choses, pour ne pas dire de la « Chose » mérite réflexion, est détenteur de l’authentique transmission directe, effective et véritable, entre Martinès et nous par l’intermédiaire de Jean-Baptiste Willermoz [6], y compris celle de la pratique du « culte primitif » dont la trace se fait voir par la conception quaternaire de l’initiation rectifiée et le relèvement de l’autel des parfums.

b) Originalité doctrinale du Régime Rectifié

C’est pourquoi, sans la doctrine reçue de Martinès de Pasqually découverte lors de son admission dans l’Ordre des Élus Coëns, et que Jean-Baptiste Willermoz introduisit ensuite dans son système maçonnique et chevaleresque lors du Convent des Gaules en 1778, on ne s’explique pas pourquoi le Régime Écossais Rectifié professe, de façon implicite dans les Instructions destinées à tous les grades, et de façon explicite dans les Instructions secrètes de sa classe dite « non-ostensible » – sauf bien entendu si, par ignorance, aveuglement volontaire, mauvaise foi, opinions subjectives partisanes, déni de la réalité et motifs divers moins avouables et non avoués qu’il n’est pas le lieu d’aborder ici, on en refuse l’évidence [7] -, des thèses fermement et constamment condamnées par l’Église et ses conciles depuis les premiers siècles, portant sur l’émanation et la nature immatérielle d’Adam avant la chute, émanation conditionnée par la révolte des esprits pervers afin de les « molester », la création du monde effectuée, non par l’effet d’un don gratuit et sous l’action de la pure charité divine, mais sous contrainte « nécessaire » pour répondre à la révolte des esprits angéliques rebelles, création matérielle qui plus est effectuée non par Dieu directement mais par des esprits intermédiaires pour servir de « prison » aux démons, ce qui renforce d’autant plus l’hétérodoxie de la thèse, l’emprisonnement dans un corps de matière « impure » des anges et de l’homme en conséquence de leur péché, la vocation à la dissolution et l’anéantissement des éléments de la Création matérielle lors de la fin des temps, la résurrection incorporelle du Christ, la destination identiquement incorporelle des créatures émanées dans l’éternité.

III. Disparition de l’Ordre des Élus Coëns, et refus de Willermoz d’ordonner des Réaux-Croix pour la survivance des Coëns

 

Willermoz ne se faisait aucune illusion

sur l’idée d’un éventuel « réveil » de l’Ordre des  Élus Coëns après sa disparition,

ayant concrètement mis fin à la possibilité que soient ordonnés des Réaux-Croix après lui…

 

Willermoz, qui ne se faisait aucune illusion sur l’idée d’un éventuel « réveil » de l’Ordre des  Élus Coëns après sa disparition, ayant concrètement mis fin à la possibilité que soient ordonnés des Réaux-Croix après lui en restant sourd, en 1822, aux demandes pressantes de Jean de Turkheim, déçu pour bien des raisons, tant personnelles – ses rapports contrariés avec la « Chose » et son rapport délicat avec Martinès n’y furent sans doute pas étrangers -, que structurelles, sachant que l’Ordre des  Élus Coëns s’était effacé de la visibilité du siècle, ses archives allant aux pires adversaires des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, c’est-à-dire les Philalèthes [8], le Régime Rectifié ne fut donc pas dans son esprit, sauf sur une courte période où les Grands Profès du Collège Métropolitain étaient admis ensuite dans le Temple Coën de Lyon, soit de 1778 à 1785, une antichambre pour la théurgie, mais un « conservatoire » de la doctrine de la Réintégration, ce qui est bien différent et tout autre chose [9].

IV.  L’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte fut conçu comme le cadre protecteur à la doctrine de la « Réintégration »

De la sorte, et on le comprend aisément, lorsqu’en 1778 à Lyon, entre le 25 novembre et le 10 décembre, Willermoz  qui avait compris que l’Ordre de Martinès aurait bien du mal à survivre à la disparition de son Grand Maître survenue en septembre 1774 à Port-au-Prince, donna naissance à « l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte », lors du Convent des Gaules, « rectifiant » les structures, ainsi que la perspective spirituelle de la Stricte Observance, pour que puisse se transmettre un dépôt doctrinal qu’il considérait comme étant de la plus grande valeur, disséminant intelligemment, grade après grade, les différents éléments symboliques particuliers (nombres, couleurs, formes, batteries, signes, etc.), provenant des rituels Coëns, installant ainsi l’enseignement de Martinès de Pasqually au sein de ce système maçonnique et chevaleresque nouvellement édifié, et réussissant à conférer, par cette opération, un cadre protecteur à la doctrine de la « Réintégration », que l’Ordre des  Élus Coëns n’était plus en mesure d’incarner et que Willermoz ne chercha d’ailleurs pas à conserver.

V. Le Régime Rectifié est devenu l’unique détenteur de la transmission directe d’avec Martinès de Pasqually

Le Régime Rectifié, est de fait devenu avec le temps le détenteur de la transmission directe, effective et véritable de Martinès de Pasqually, ceci par l’intermédiaire de Jean-Baptiste Willermoz, incluant, quoique en un mode assez original et quasi « subtil », la pratique du « culte primitif » de par la conception quaternaire de la voie initiatique propre à la Réforme de Lyon se pratiquant en quatre grades symboliques ostensibles dès les loges bleues,  dites de « Saint-Jean » (Apprenti, Compagnon, Maître et Maître Écossais de Saint-André)  [10], et non trois comme dans la conception andersonienne classique (Apprenti, Compagnon et Maître) [11], ceci à quoi s’ajoute l’acte, éminemment important, et d’une portée singulièrement significative, en quoi consista l’introduction de la scène du « relèvement de l’autel des parfums » dans le rituel du grade de Maître Écossais de Saint-André [12].

VI. Le rattachement au mystérieux « Haut et Saint Ordre »

À cet égard, Alice Joly cerna correctement ce qu’il advint chez Willermoz, après sa découverte des Coëns et l’apport essentiel qu’il en retira dans sa vision de la nature même de la « voie » initiatique, ainsi que la conviction qui s’imposa à lui avec une force vigoureuse, ceci jusqu’à le conduire à faire du Régime Rectifié le témoin d’une « source » désignée dans les rituels du nom de  « Haut et Saint Ordre » [13], introduisant ainsi des références directes au « culte primitif » en faisant usage d’écrits anciens : « Jean-Baptiste Willermoz se pénétra de l’idée que le secret du vrai culte avait été transmis d’âge en âge par quelques initiés. Il tenta des rapprochements significatifs entre le cérémonial des sacrifices de l’ancien culte et le cérémonial institué par le Christ [14]. Il faisait, à cette époque, de multiples copies d’un fragment de saint Basile de Césarée et d’une lettre écrite par le pape Innocent I à l’évêque Décentius [15], parce que ces extraits lui semblaient prouver que le christianisme primitif était un mystère que seuls connaissaient quelques fidèles [16]. De là à s’imaginer qu’il connaissait le mystère, il n’y avait qu’un pas à faire, vite franchi [17]

Et effectivement, Willermoz, s’appuyant sur saint Basile de Césarée (+ 379) et son De Spiritu, et la Lettre du pape Innocent I à Décentius sur le « don de l’Esprit », textes dont il conseillait la lecture aux Chevaliers Grands Profès, fut convaincu d’une chose qui lui sera propre – ce qui d’ailleurs nous montre en quoi, de par sa forme et son organisation culminant dans le dévoilement d’un enseignement doctrinal, le Régime rectifié est absolument autosuffisant et complet n’ayant besoin d’aucun complément extérieur -, à savoir que le secret du vrai culte, transmis d’âge en âge, se dévoile en pratique dans l’identité qui existe entre « vérité » et « révélation » de l’Esprit, faisant que pour celui qui a été initié aux mystères de l’Ordre, la science divine n’est autre que la relation intime et intérieure avec Dieu, relation en forme de « révélation » qui est à la fois et dans le même acte, découverte de la « présence » intime de l’Être éternel et infini, ce en quoi consiste la « Chose », et pratique de la célébration du vrai culte « en esprit et en vérité » (Jean IV, 24), car à partir de l’expérience de l’Esprit, que l’homme est capable de vivre et ressentir dans son âme, telle qu’elle peut survenir dans le cheminement approfondi éclairé par la foi, on arrive, par une grâce surnaturelle, à l’authentique « connaissance » qui donne entrée dans le « Sanctuaire » [18]. Tel est le secret initiatique du Régime Écossais Rectifié [19].

VII. L’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte a un secret : « son but est d’atteindre, à sa manière, le but fixé à l’Ordre des Élus Coëns »

Sous ce qu’il désigna en tant que « Haut et Saint Ordre », dénomination qui fit son apparition dans les rituels de la Réforme de Lyon et dont l’origine provient directement de l’enseignement de Martinès, Jean-Baptiste Willermoz pensait donc, en réalité, au « Élus de l’Éternel », c’est-à-dire à la sainte et pieuse « société religieuse » formée par les Justes, les Patriarches et les Prophètes, qui surent après le repentir de notre premier parent selon la chair, Adam, et depuis son fils bien aimé Abel, en passant par Seth, Élie, Énoch [20], Melchisédech, Abraham, Moïse, David, Salomon et Zorobabel, préserver, maintenir et transmettre le « vrai culte » [21], « société religieuse » – distinguée et rigoureusement séparée de la descendance prévaricatrice réprouvée de Caïn, Tubalcaïn et Nemrod -, à laquelle se rattache aujourd’hui l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, par l’intermédiaire providentiel au XVIIIe siècle de l’Ordre des Chevaliers Maçon Élus Coëns de l’Univers [22].

a) Le Régime Rectifié est « l’Ordre substitué » aux Élus Coëns

La nature du système fondé par Willermoz et la « science divine » qu’il renferme, se dévoilent de la sorte comme une évidence à propos de la valeur de ce Régime, mais elles établissent, et constituent également, comme toujours en ces domaines, une grande responsabilité et surtout une mission à réaliser pour les membres de cet Ordre nouvellement édifié à Lyon en 1778, dont les termes soulignaient indirectement les devoirs de ceux qui, humblement, cheminaient en acceptant d’être guidés par les vérités essentielles de la source primitive de « l’Ordre substitué » – désignation singulièrement pertinente que l’on doit à Robert Amadou[23] -, qui s’est concrètement « substitué » aux Élus Coëns de manière logique si l’on garde en mémoire que la Réforme de Lyon « dispense la partie scientifique de la maçonnerie primitive et la science religieuse de l’homme », et quoique le « culte primitif » d’essence théurgique ne fut jamais enseigné à ses membres, puisque Willermoz en réserva la connaissance, non pratique mais théorique, uniquement aux Chevaliers Profès et Grands Profès, cependant le Régime Rectifié se « substitua » en effet aux Élus Coëns, pour effectuer un mission bien précise aisément décelable, à savoir être le conservateur, le gardien et le continuateur de ce qui a pour nom, ainsi que l’apprennent les membres du Régime lorsqu’ils parviennent dans sa seconde classe chevaleresque, le « Haut et Saint Ordre ».

b) L’Ordre primitif et fondamental auquel est rattaché le Régime Rectifié lui confère un caractère « non apocryphe »

Ainsi instruits, si l’on considère que l’Ordre primitif et fondamental est à la source de l’institution maçonnique authentique, c’est-à-dire et pour être clair, « non apocryphe » [24], le sens véritable de cette significative déclaration se dévoile alors parfaitement : « L’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte a un secret, le secret de Jean-Baptiste Willermoz : son but est d’atteindre, à sa manière, le but fixé à l’Ordre des Élus Coëns [25]», à savoir, la « réintégration de l’homme dans sa première propriété vertu et puissance spirituelle divine », réintégration espérée est située dans l’esprit de ce Régime fondé par Willermoz, ayant pour objet la réédification spirituelle de l’homme, en le conduisant de l’image à la ressemblance et des ténèbres de ce monde à la « Lumière » de l’Être Éternel et Infini, qui est la bonté la justice et la vérité même.

Conclusion : le Régime Écossais Rectifié est le gardien de la « doctrine divine »

Martinès a donc légué à Willermoz, sans aucun doute en ne pouvant imaginer un seul instant ce que son disciple lyonnais allait réaliser comme projet organisationnel sur le plan maçonnique et chevaleresque par la suite, selon son génie propre, un dépôt substantiel d’une valeur absolument inestimable, dépôt sans lequel le visage du monde initiatique contemporain serait bien différent et surtout, tout autre que ce qu’il est, puisque dépourvu de tout rattachement réel avec la transmission « non apocryphe » provenant des Élus Coëns, le Régime Écossais Rectifié incarnant, comme le voulut la Divine Providence, la continuité ininterrompue depuis le XVIIIe siècle d’un enseignement doctrinal provenant des premiers temps du christianisme primitif lié aux premiers âges de l’histoire patriarcale, sur lequel la classe secrète de « l’Ordre substitué », soit en termes clairs « l’unicum ncessarium », a pour devoir impératif de veiller, avec piété, dans le silence, l’humilité et le retrait du monde.

Ceci explique pourquoi, en effet, il y a une certaine erreur à parler purement et simplement de la « constitution » de la maçonnerie rectifiée et de « l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte » en 1778, dans le sens où Jean-Baptiste Willermoz conféra un titre à une forme traditionnelle de transmission qu’il considérait comme extrêmement ancienne, bien plus antique encore que l’Ordre du Temple qui n’en fut que le détenteur bien imparfait à une certaine période de l’Histoire, et dont le Régime Rectifié ne conserva que l’héritage formel et organisationnel, car la « transmission » dont il est question se rapporte à un « Ordre » ancien qui se dissimule sous le voile de la franc-maçonnerie en restant et demeurant caché au plus grand nombre, mystérieux « Haut et Saint Ordre », Ordre primitif et perpétuel qui, « à défaut de pouvoir être nommé, ne peut être appelé que le Haut et Saint Ordre » [26], base de la véritable initiation, qui ne doit absolument pas être confondue avec les formes contingentes qu’empruntent, pour un temps limité, les institutions se consacrant à l’étude des « sciences sacrées » et à la perfection de l’homme.

Comment, dès lors, ne pas conclure, en forme de message symbolique transmis par delà les siècles et l’invisible, par ces ultimes paroles que Martinès adressa à Willermoz – les dernières échangées entre le Grand Souverain et son émule de Lyon -, et par l’intermédiaire de Willermoz à l’ensemble des « âmes de désir » sensibles aux sublimes lumières la « doctrine divine » préservée au sein du Régime Écossais Rectifié : « Adieu Très Puissant Maître, l’Éternel vous tienne et tous vos disciples en sa sainte et digne garde [27] .»

 

Martinès de Pasqually et  Jean-Baptiste Willermoz

Commande du livre :

Le Mercure Dauphinois, 2020, 1184 pages.

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Table des Matières

 

Notes.

[1] Avant que de s’embarquer pour Saint-Domingue, Martinès contresigna un certificat de catholicité ainsi rédigé : « J’atteste que M. Jacques Pasqually de Latour, écuyer natif de Grenoble, âgé de 45 ans, de moyenne taille, cheveux noirs, portant perruque, professe la religion catholique apostolique romaine, lequel désire s’embarquer par le navire le Duc de Duras, Capitaine Pierre Duguatz, pour aller à Saint-Domingue. » Bordeaux, le 26 avril 1772. » Signé : Depasqually de la Tour. (Cf. « Certificat de Catholicité », Amirauté de Guyenne, Registre des passagers, 6 B 54, f° 64 r°, Archives Départementales de la Gironde).

[2] Le Serment, dit du « second tiers d’obligation », que l’on faisait prononcer aux impétrants lors de leur réception dans l’Ordre des Chevaliers maçons Élus Coëns de l’Univers, est sans ambiguïté : « Je, N…, promets d’être fidèle à ma sainte religion catholique apostolique et romaine, de même qu’à mon Roi et à ma patrie, contre lesquels je ne prendrai jamais les armes. Je promets d’être fidèle à mes frères, de les secourir de mon bras, de ma bourse et de mes conseils, autant qu’il me sera possible. Je m’engage envers eux, comme ils se sont engagés envers moi. » (Cf. Cérémonie de la réception d’Apprentif de l’Ordre des Élus Coëns, fonds Thory, Bibliothèque Nationale).

[3] R. Amadou, Introduction, in Traité de sur la réintégration des êtres, Collection Martiniste, Diffusion Rosicrucienne, 1995, pp. 22-25.

[4] On sait que Saint-Martin, qui de plus en plus depuis le départ de Martinès en 1772 était devenu rétif aux cérémonies extérieures qui lui semblaient entachées d’un caractère superficiel, déplorait que la majorité des Coëns aient été seulement « initiés par les formes » ; il en conclura un jour brutalement : « Aussi mes intelligences étaient-elles un peu loin d’eux», et il ne se fit pas faute de le dire clairement, heurtant les convictions et l’attachement de certains frères aux rituels transmis par le théurge de Bordeaux. C’est pourquoi, le Philosophe Inconnu chercha à communiquer intuitivement ses « intelligences » à ses intimes, et écarta le décorum cérémoniel qui lui devint, les jours passant, totalement étranger.

[5] R. Amadou, Martinisme, CIREM, 1997, p. 36. Robert Amadou avait d’ailleurs précisé à ce sujet, dans un autre ouvrage : « Mais ce dépôt, ce saint Ordre où poussent les branches et les rameaux, comment ne pas l’annoncer sans attendre ? Le martinisme ressortit à l’ésotérisme judéo-chrétien qui ressortit à l’ésotérisme universel. Dans son originalité formelle, néanmoins, dans son unité radicale et sous la multiplicité de ses avatars, le martinisme remonte à Martines de Pasqually. Trois grandes lumières balisent l’itinéraire du martiniste : Jacob Böhme, Martines de Pasqually et Louis-Claude de Saint-Martin. Mais à constituer le dépôt, ont aussi coopéré Jean-Baptiste Willermoz, l’Agent Inconnu, l’Ordre des chevaliers bienfaisants de la Cité sainte avec ses mythes templiers et l’héritage des constructeurs gothiques ; et les grands illuminés du XVIIIe siècle, les William Law, les Divonne, les Eckhartshausen ; et les fidèles du piétisme, surtout lors du premier réveil […]. Or, la perle de ce dépôt, son capital initial, c’est Martines qui l’a placée, et c’est de lui que la tiennent les maçons écossais rectifiés et les grands profès, les théosophes chrétiens et parmi eux, les disciples de Saint-Martin dont beaucoup appartiennent à l’Ordre Martiniste. » (R. Amadou, Préface, in « Papus, Martines de Pasqually », Robert Dumas Éditeur, 1976, p. XVI).

[6] Contrairement à ce que beaucoup imaginent à tort, l’idée de succession légitime n’est pas un concept « guénonien », mais est commune aux sociétés initiatiques et à l’Église,  même si René Guénon (1886-1951) s’y réfère explicitement en ces termes : « L’initiation proprement dite consiste essentiellement en la transmission d’une influence spirituelle, transmission qui ne peut s’effectuer que par le moyen d’une organisation régulière, de telle sorte qu’on ne saurait parler d’initiation en dehors du rattachement à une telle organisation […] Il est dès lors facile de comprendre l’importance capitale que toutes les traditions attachent à ce qui est comme la « chaîne » initiatique , c’est-à-dire à une succession assurant d’une façon ininterrompue la transmission dont il s’agit ; en dehors de cette succession, en effet, l’observation même des formes rituéliques serait vaine, car il y manquerait l’élément vital essentiel à leur efficacité. Ceci, d’ailleurs, n’est nullement particulier aux rites initiatiques, mais s’applique tout aussi bien aux rites d’ordre exotérique, par exemple aux rites religieux, qui ont pareillement leur efficacité propre, mais qui ne peuvent pas davantage être accomplis valablement par n’importe qui ; ainsi, si un rite religieux requiert une ordination sacerdotale, celui qui n’a pas reçu cette ordination aura beau en observer toutes les prescriptions et même y apporter l’intention voulue, il n’en obtiendra aucun résultat, parce qu’il n’est pas porteur de l’influence spirituelle qui doit opérer en prenant ces formes rituéliques pour support » (R. Guénon, Aperçus sur l’initiation, chap. VIII, « De la transmission initiatique mais patristique », 1946).

[7] On se reportera, pour les « éclairages » au sujet des motivations inavouées conduisant au patent déni de réalité face aux thèses hétérodoxes de Martinès de Pasqually, à : J.-M. Vivenza, Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours, Hyères, La Pierre Philosophale, 2017, ch. XII, pp. 329-352.

[8] Malgré l’extinction de l’Ordre des Élus Coëns avant même la Révolution, et la disparition de tous les Réaux-Croix dans le premier quart du XIXe siècle, deux tentatives récentes de réveil des Élus Coëns eurent lieu au XXe siècle, sur lesquelles il convient de rétablir quelques vérités, puisque tellement de choses ont été écrites, et s’écrivent encore, sur ces deux épisodes se revendiquant de l’héritage de Martinès de Pasqually, conservant une certaine influence, non toujours très heureuse, dans les milieux initiatiques, en particulier à la proximité immédiate du Régime Écossais Rectifié.

L’élément paradoxal dans cette histoire des tentatives de « réveil » des Élus Coëns au XXe siècle, c’est qu’elle repose sur la même et identique « confusion » entre « succession cohen et succession de la Grande profession du Régime Écossais Rectifié ». Mais si Jean Bricaud (1881-1934), qui revendiqua, en devenant Grand Maître de l’Ordre Martiniste, le 25 septembre 1918 à la suite de Henri-Charles Détré (1855-1918), dit « Téder », la succession des Élus Coëns, s’appuyant sur la Grande Profession, tout à fait authentique et renseignée reçue par Édouard Emmanuel Blitz (1860–1915), lors de son admission au sein du Collège de Genève le 21 février 1899, le sérieux problème de la seconde tentative, s’autoproclamant ensuite du nom de « résurgence », à l’initiative de Georges Bogé de Lagrèze (1882-1946), Robert Ambelain et Robert Amadou, à Paris, en pleine période de l’Occupation en deux temps, en 1942 et 1943 – la Charte de cette dite « résurgence », en date du vendredi 3 septembre 1943, s’appuyant, pour valider ce soi-disant « réveil des Coëns », sur la qualité de CBCS et surtout de soi-disant Grand Profès de Lagrèze, comme le fait apparaître son diplôme de Grand Maître de cette recréation -, c’est que Georges Bogé de Lagrèze a menti sur ses qualifications n’ayant jamais été admis à aucun moment en tant que Grand Profès, ce qui n’a pas empêché ensuite Robert Ambelain de forger une pseudo Profession de son invention de « transmission Lagrèze », dont on fit dépendre la légitimité de la « résurgence » de 1943, et des lignées, aujourd’hui foisonnantes, des chapelles et conventicules néo-coëns, ainsi que des pseudos collèges de pseudos « grands profès » rattachés à cette source relevant tout simplement de l’escroquerie initiatique.

[9] Gérard van Rijnberk, résume parfaitement les causes de la disparition de l’Ordre des Élus Coëns après 1781, causes que nous avons étudiées avec précision, rappelées dans ce passage de façon concise : « Après la mort de Martines en 1774, les établissements Coëns se sont désagrégés lentement. Les causes de ce déclin peuvent se réduire à trois. En premier lieu et avant tout, il se faut rappeler qu’à la mort du Souverain Maître l’organisation de l’Ordre était loin d’être achevée. Deux forces dissolvantes ont ensuite agi. C’est d’abord l’attraction que la Stricte Observance Germanique exerça sur les âmes […]. Ensuite, c’est l’action de Saint-Martin […] Saint-Martin se rendit bientôt compte que cette manière tout extérieure de se mettre en rapport avec le Monde de l’Esprit ne le satisfaisait pas ; il changea alors de méthode, abandonna le chemin de ceux qui, forts de leur volonté, prenaient le ciel d’assaut, et s’engagea sur la voie du mysticisme, tout intérieure, qui semble avoir été pour lui une voie toute paisible, toute de douceur et d’abandon. Tout en restant convaincu de l’efficacité des pratiques théurgiques des Coëns, il apprit par son expérience personnelle que la voie mystique donnait une certitude intime incomparablement supérieure à celle des signes obtenus pendant les Travaux de l’Ordre […]. » (G. van Rijnberk, Un thaumaturge au XVIIIe siècle, Martinez de Pasqually, sa vie, son œuvre, son ordre, Alcan, 1935, pp. 89-91.)

[10] Le Convent des Gaules prit la décision sur suggestion de Willermoz,  lors de sa 8ème séance, le 5 décembre 1778, de nommer le 4ème grade – c’est-à-dire l’ancien « Écossais vert » de la Stricte Observance –  « Maître Écossais » et de l’intégrer au sein des Loges de la classe symboliques. Cette idée provenait, dès 1777, du baron de Lutzelbourg, Vénérable Maître de Strasbourg, idée qui avait été approuvée le 28 mars 1777 par le Chapitre de Lyon et entériné le 25 avril de la même année par le Directoire de la IIe Province. (Cf. Registre des délibérations du Grand Directoire, B.M. de Lyon Ms 5481).

[11] Les « Constitutions d’Anderson », rédigées en 1717 par le pasteur presbytérien James Anderson (1684-1739) avec l’aide de John Théophile Désaguliers (1683-1744), publiées en 1723.

[12] Certes le culte primitif ne sera jamais enseigné en termes directs aux membres du Régime rectifié, puisque Willermoz en réservera la connaissance, non pratique mais théorique, uniquement aux Chevaliers Profès et Grands Profès. Cependant, on placera les frères du Régime dans un tel processus de régénération spirituelle, qu’ils en accompliront, sans toujours en être réellement conscients, les principes, les règles, les lois et les cérémonies de ce culte, les amenant à être engagés, lentement et harmonieusement, dans un saint labeur de régénération spirituelle s’accomplissant pendant tout le temps de leur vie maçonnique. Ainsi, le caractère fondamental du quaternaire, nombre du « Mineur spirituel », va prendre avec le Régime rectifié, qui se libère des cadres de la maçonnerie structurée en trois degrés d’Apprenti, Compagnon et Maître, une telle évidente dimension, qu’il va positionner le système de Willermoz dans une attitude de brusque, et pour certains, choquante originalité, de manière à s’accorder avec les convictions de la doctrine Coën, qu’il reprend à son compte sur ce point et fait entièrement siennes. C’est pourquoi, pour réédifier le Temple tripartite détruit et en ruine, le « Mineur » de puissance quaternaire devra, en quatre temps, retrouver les éléments du culte originel fondé sur les quatre sacrifices,  les quatre prières journalières et les quatre fêtes principales. On découvre alors beaucoup mieux pourquoi Willermoz, qui souhaitait placer son Ordre sous les auspices du « vrai culte » et du sacerdoce primitif, édifia son système maçonnique en quatre degrés et non en trois.

[13] Voir à propos du « Haut et Saint Ordre » : « Le Régime Écossais Rectifié et le Haut et Saint Ordre : caractère non apocryphe de l’initiation willermozienne », in  J.-M. Vivenza, Les Élus coëns et le Régime Écossais Rectifié, Le Mercure Dauphinois, 2010, pp. 209-218.

[14] Lyon, Ms. 5526. Extrait daté du 21 juillet 1777.

[15] Lettre du pape Innocent I à Decentius de Gubbio (19 mars 416), trad R. Cabié, bibliothèque de la Revue d’Histoire Ecclésiastique, 58, 1973.

[16] Saint Basile, De Spiritu, ch. 27. Les passages sont cités d’après le livre de J. Grancolas (1660-1732),  Les anciennes liturgies, ou la manière dont on a dit la Sainte Messe dans chaque siècle, dans les Églises d’Orient & dans celles d’Occident, avec la recherche de toutes les Pratiques, Prière & Cérémonies qui s’observent dans le Saint sacrifice, Paris, 1697, et non pas « J. Gramolas » comme l’écrit par erreur A. Joly.

[17] A. Joly, Un mystique lyonnais et les secrets de la franc-maçonnerie : Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), Mâcon, Protat frères, 1938, p. 96. Alice Joly poursuit sur ce sujet : « Les Coëns se croyaient parfaitement autorisés à rechercher des analogies entre la religion chrétienne et la religion de Pasqually, à expliquer, à corriger et à compléter l’une par l’autre. Le « Livre des prières de six en six heures », qui ressemble à tant de Petites Heures composées pour les dévots les plus ordinaires, contient maintes transpositions de prières, maintes formules significatives de cet état d’esprit [17]. Parmi les papiers laissés par Jean-Baptiste Willermoz, se trouve aussi une curieuse instruction à suivre pendant l’élévation, qui paraît avoir été écrite de la main même de Saint-Martin. Elle associe intimement le triangle maçonnique, la mystique des noms divins, l’invocation au Dieu quaternaire, lappel aux esprits majeurs avec la dévotion au Christ, présent dans l’hostie consacrée. — Voici, tel qu’il est, ce texte étrange : ‘‘À l’instant que le prêtre prend l’hostie pour la consacrer, on met les deux genoux en terre, on fait, avec le pouce de la main droite en équerre, une croix sur le cœur, sur la partie opposée et sur le haut de l’estomac, ce qui fait un triangle ; on fait une quatrième croix sur la bouche en disant trois fois : Kadoz. Au moment de lélévation on dit : conjuro vos, angeli, archangeli, cherubini et seraphini par les saints noms de Dieu, intercéder pour moi auprès du Créateur tout-puissant… In quacumque die invocavero te, velociter exaudi me per Christum filium tuum. Amen.’’ Cet éclectisme pourrait paraître sacrilège, ou tout au moins surprenant, s’il ne montrait surtout la profonde conviction de ces initiés et leur effort pour associer réciproquement leur religion traditionnelle et leur foi nouvelle » (Ibid., p. 97).

[18] « Comme Maçon symbolique, vous en avez étudié la structu­re et les dehors ; comme Novice vous êtes entré dans le Porche ; comme Chevalier, vous venez d’être admis dans le Temple même, et les portes du Sanctuaire vous sont ouver­tes. » (Cf. Instruction pour la réception des FF. Chevaliers dans l’O[rdre] B[ienfaisant] des Chevaliers M\ de la Cité Sainte, 1784,  B. M. de Lyon, MS 5921). Ce à quoi il convient de rajouter ce passage : « Ne perdez pas de vue que l’erreur de l’homme primitif le précipita du Sanctuaire au Porche et que le seul but de l’initiation est de le faire remonter du Porche au Sanctuaire.» (Cf. Instructions secrètes des Chevaliers Grands Profès, fonds Georg Kloss, Bibliothèque du Grand Orient des Pays Bas, à La Haye [1er catalogue, section K, 1, 3].)

[19] L’idée, extraordinairement importante, que l’on trouve chez saint Basile, est celle soutenant qu’à partir de l’expérience de l’Esprit telle qu’elle peut survenir dans le cheminement intérieur, l’homme parvient dans son âme, par une grâce surnaturelle, à la connaissance. Mais la thèse théologique de saint Basile, à laquelle se réfère Willermoz, qui s’appuie essentiellement sur une extraordinaire compréhension de ce qu’opère l’expérience de Dieu, est d’aller jusqu’à affirmer que « l’expérience » et la « connaissance » de Dieu coïncident tellement l’une avec l’autre dans l’âme, qu’elles mènent jusqu’à la ressemblance avec la nature divine : « Il nous est proposé de ressembler à Dieu (ομοιωθήναι Θεώ) autant qu’il est possible à la nature humaine. Mais de ressemblance (ομοίωσις), il n’en est pas sans connaissance (γνώσεως) ». (De Spiritu I, 2, 10-15 – cf. Sur le Saint-Esprit, coll. Sources chrétiennes, no. 17bis, Éd. du Cerf, 1968).

Pour un développement plus étendu de la question, voir : J.-M. Vivenza, L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin, La Pierre Philosophale, 2013.

[20] « L’instruction religieuse changea de forme, mais non pas d’objet. Elle avait été généralisée et peu à peu prit une forme pour tous les hommes sous la première génération. Les principaux chefs des familles en étaient les gardiens et les professeurs ; mais ils la corrompaient et en abusèrent, et leurs familles suivirent leurs traces et leurs exemples; elle se conserva pure et intacte dans la seule lignée directe patriarcale bénite dans la personne de Sem et de la postérité, Énoch, le septième de cette lignée, qui par son rang septénaire fut un type particulier de l’action directe de l’Esprit Saint, fit ses efforts pour rétablir dans sa pureté primitive le grand culte divin; Il forma neuf disciples dont il fut le point central qu’il laissa après lui pour arrêter le torrent et de débordement universel des passions, des vices, et du culte démoniaque qui prévalaient déjà avec des progrès effrayant; et ayant accompli l’œuvre pour laquelle il avait été envoyé et son type particulier, il quitta la terre et disparut. » (J.-B. Willermoz, Instruction particulière et secrète à mon fil, op.cit.).

[21] S’agissant de la célébration du « culte primitif », son cérémonial obéit à des règles bien précises, que rappelle Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), dans les « Leçons de Lyon ». (L.-C. de Saint-Martin, Leçon n°77,  4 novembre 1775).

[22] « Le vrai culte s’est fait dans les 3 régions de la terre : 12 Patriarches israélites, 12 Patriarches ismaélites, 12 Apôtres, et le Christ faisant le centre. » (L.-C. de Saint-Martin & J.-J. du Roy d’Hauterive, Leçon n°54,  22 juillet 1775, op.cit., p. 271).

[23] « […] ‘‘l’Ordre substitué’’ dispense la partie scientifique de la maçonnerie primitive, la science religieuse de l’homme, qui transite par le monde et que Dieu aime, la réintégration du créé dans le néant et des émanés en leur source éternelle… » (R. Amadou, Préface à l’édition des Les leçons de Lyon aux Elus Coëns, un cours de Martinisme au XVIIIe siècle, Dervy, 1999, p. 58.)

[24] Soulignons que Jean-Baptiste Willermoz, conçut et façonna le Régime Écossais Rectifié comme une « rectification » de la franc-maçonnerie écossaise, dotant son système d’une structure empruntant beaucoup plus aux règles et formes des Ordres militaires de l’antique Chevalerie médiévale – comme en témoigne le « Code Général des Règlements de l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte » (1778), seule source de la légitimité pour la Réforme de Lyon -, plutôt qu’aux vues des « Constitutions d’Anderson » publiées en 1723, faiblement religieuses, universalistes et surtout étrangères à la perspective martinésienne, ignorant absolument tout des éléments théoriques de la doctrine de la « Réintégration », ceci expliquant pourquoi le Régime Rectifié posa, dès les premiers instants de sa fondation lors du « Convent des Gaules », des principes profondément différents du milieu maçonnique du XVIIIe siècle, et y demeure depuis dans une situation « à part », en tant que voie initiatique spécifique et originale.

[25] R. Amadou, Introduction aux Leçons de Lyon, op. cit., p. 139

[26] Cf. Bibliothèque Municipale de Lyon, M.S. 5920.

[27] Lettre de Martinès de Pasqually à Jean-Baptiste Willermoz,  du 3 août 1774.

 

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